Au cours des derniers mois par Joel Sandhu


Au cours des derniers mois, j’ai écrit du contenu sur l’interaction entre le capital-investissement et les politiques des banques centrales.
J’ai dû le jeter à la poubelle parce que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a changé la donne.
Cependant, j’ai pu relativiser et recycler certaines réflexions sur la décarbonisation, la numérisation et les nouvelles tendances en matière de consommation, car elles seront également affectées par une nouvelle guerre froide. Par ailleurs, le recyclage reste le bon geste à adopter.
Nous n’avons pas de boule de cristal nous permettant de déterminer le déroulement du conflit, mais il est certain que l’Occident (et l’Europe en particulier) va repenser ses politiques de défense, d’agriculture et d’énergie.*
Une solution négociée pour l’Ukraine est possible, mais le Rubicon a été franchi.
Une nouvelle guerre froide est malheureusement une réalité maintenant, peu importe si les négociations aboutissent.
Dans ce contexte, nous avons réfléchi à l’impact que la situation aura sur le capital-investissement.
Quel est l’impact actuel sur le capital-investissement (et les portefeuilles Top Tier Access) ?
Nous avons entendu dire que beaucoup de transactions sont en suspens et que les multiples ont diminué. Avec toute la poudre sèche sur le marché cependant, la cadence du flux d’affaires devrait reprendre prochainement. Ce que seront les multiples boursiers reste encore imprévisible.
En termes d’impact direct, la plupart de nos groupes de capital-investissement ne sont pas tellement impliqués en Russie et en Ukraine. Dans les mises à jour que nous avons reçues des fonds dans lesquels nous avons investi, la plupart perdront entre 0 et 2 % de revenus. La plupart des sociétés de capital-investissement et celles dans lesquelles nous investissons avec TTA ne sont généralement pas exposées aux marchés de l’énergie ou des matières premières et ne sont donc pas directement impactées par ces cycles d’expansion et de récession. Les secteurs privilégiés du capital-investissement, notamment les logiciels d’entreprise, les services aux entreprises et la santé, ne sont pas vraiment exposés à l’inflation des matières premières. Seule l’inflation induite par la masse salariale peut réellement leur nuire et il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Ce qui compte vraiment, c’est de savoir si une entreprise a le pouvoir de fixer les prix. Ce pouvoir de fixation des prix peut entraîner une nouvelle inflation, mais le pouvoir du marché offre une couverture.
Du point de vue des ressources humaines, un certain nombre d’entreprises de logiciels dans notre portefeuille avaient délocalisé leurs services en Ukraine (et dans une moindre mesure en Russie), mais cherchent à présent à trouver des solutions à ce problème. Certains ont des filiales ou des centres de développement ukrainiens et relocalisent le personnel et leur famille autant que possible dans les pays voisins.
Les fonds scandinaves n’attendent visiblement pas que la Suède rejoigne l’OTAN pour agir. Ils octroient d’importants dons d’argent à l’Ukraine et certains ont demandé à toutes leurs sociétés de portefeuille de cesser progressivement leurs activités en Russie, y compris l’externalisation de services ou la fourniture de technologies aux entités russes. Cela signifie que nous ne vendons plus de technologies ou de produits avancés à la Russie, mais aussi que nous ne signons plus de contrats avec des entreprises technologiques ou manufacturières russes.
(Au risque de m’exprimer comme un général du dimanche, si davantage d’entreprises et de fonds technologiques occidentaux suivent le mouvement, nous pourrions assister à une véritable fuite des cerveaux de la Russie. Nous avons lu des rapports selon lesquels déjà 100 000 Russes éduqués ont fui vers l’Occident, et un grand nombre vers la Turquie où ils n’ont pas besoin de visas. Il serait très intelligent de la part de nos gouvernements d’inviter et d’accepter des ingénieurs (et des pilotes) russes sans visa pour ajouter de la valeur à notre marché du travail.)
Les Russes ont également été écartés du capital-investissement. Nous avons reçu une lettre intéressante d’un courtier canadien en fonds secondaires et il semble que de nombreuses ventes forcées ont lieu. Nous avons également entendu un associé commandité déclarer de manière assez véhémente lors d’un argumentaire qu’ils n’avaient jamais eu le moindre investisseur russe et qu’ils n’en auraient jamais ! Nous ne pouvons que nous imaginer à quel point une procédure « Know Your Customer » serait douloureuse pour un ressortissant russe. La plupart des fonds ne tenteront probablement même plus d’accueillir les citoyens russes.
Du côté des bénéficiaires, les sociétés de capital-investissement occidentales utilisant beaucoup d’énergie (p. ex., les centres de données et les fabricants) ressentent les conséquences de l’augmentation des coûts énergétiques, mais sont généralement capables de les répercuter sur leurs clients. Mais nous savons tous bien sûr que c’est ainsi que commence l’inflation.
La hausse de l’inflation rend plus probable une hausse des taux d’intérêt, ce qui est une particulièrement mauvaise nouvelle pour les entreprises technologiques de croissance cotées comme vous avez pu le voir sur le Nasdaq.
Il est vraiment trop tôt pour discuter du rythme des levées de fonds de capital-investissement. Cependant, moins les gens veulent investir dans le capital-investissement, mieux c’est pour nous, mais de notre côté, nous ne voyons pas vraiment de ralentissement. Notre levée de fonds pour le deuxième fonds de rachat de fonds se passe plutôt bien en fait…
La crise ukrainienne va-t-elle perturber les trois mégatendances ?
Il est encore trop tôt pour se risquer à faire des prédictions. Cependant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a déjà brisé certaines tendances à long terme. L’Allemagne, par exemple, rompt avec des décennies de politique de « dividendes de la paix », pendant lesquelles elle a sous-investi dans la sécurité et plutôt développé son économie, sa sécurité sociale et autres. On peut dire la même chose de la plupart des économies occidentales qui ont longtemps fait des économies sur leur capacité militaire, y compris les États-Unis.
Revenons aux mégatendances, considérons-les chacune à leur tour :
La numérisation dans le contexte de la « nouvelle guerre froide » : Cette nouvelle guerre froide ne peut que renforcer notre volonté de numérisation. Par exemple, EQT nous a indiqué avoir massivement renforcé les défenses en matière de cybersécurité des entreprises de son portefeuille afin de contrer toute cyberinitiative potentielle des Russes.
Une autre considération est une conséquence découlant d’une militarisation accrue. Si nous devions reconstruire de grandes armées permanentes, nous verrions des jeunes s’engager et quitter le secteur privé. Cela ne ferait que forcer les entreprises à être plus efficaces, c’est-à-dire davantage numérisées. L’Allemagne investit désormais 100 milliards d’euros dans la mobilisation militaire, avec un soutien politique et populaire quasi unanime. Cette décision change la donne.
Je réitère mon argument qui veut que beaucoup de Russes éduqués quitteront probablement la Russie pour de bon, car le régime devient encore plus répressif et les sanctions coupent la Russie du secteur des technologies et du capital-investissement. Cette fuite des cerveaux serait une bonne nouvelle pour l’Occident puisque la Russie produit des ingénieurs et des scientifiques de très haut niveau dont nous aimerions pouvoir disposer ici.
L’inflation va-t-elle peser sur la valorisation des entreprises de logiciels ? Nous ne nions pas que les valorisations de ces entreprises sont assez élevées. Cependant, ces entreprises combinent croissance, pouvoir de fixation des prix et modèles de revenus récurrents. Il y a encore beaucoup de poudre sèche à la poursuite de cette combinaison. Les valorisations des exits du marché public sont moins élevées aujourd’hui, mais c’est davantage le cas pour les entreprises non rentables ou qui n’ont pas atteint leurs objectifs de croissance. Nous observons cet environnement, mais il est trop tôt pour le dire. Il s’agit souvent d’entreprises de très haute qualité, avec un fort pouvoir de fixation des prix et dans une tendance lourde.
Nous n’allons toutefois pas nous lamenter si les valorisations et l’effet de levier baissent d’une manière ou d’une autre.
Enfin, l’augmentation des dépenses militaires pourrait être en corrélation avec des développements importants de nouvelles technologies. Il suffit de voir comment le secteur des start-ups israéliennes est peuplé d’anciens militaires qui ont commercialisé des technologies militaires.
La numérisation devrait normalement être un économiseur de coûts, ce qui est encore plus attrayant en période d’inflation.
En conclusion, nous pensons que la tendance à la numérisation ne fera que se renforcer.
La décarbonisation dans le contexte de la « nouvelle guerre froide ».
De nouveau, il est encore trop tôt pour le dire, mais permettez-nous un pari raisonné. Nous nous attendons à une nouvelle attitude de « laissez-faire » sur les carburants carbonés à court terme, tandis que le processus de décarbonisation se poursuit sans faiblir. Je pense que l’on peut dire sans se tromper que l’Allemagne (et la Belgique) ont connu un réveil brutal d’un rêve où ils pensaient que la Russie était un partenaire énergétique fiable nous permettant de réduire notre empreinte nucléaire alors que nous sommes en pleine transition énergétique.
Avec des prix de l’énergie très bas, Joe Biden s’est aussi senti assez à l’aise pour freiner la production de carbone américaine. Rien ne focalise plus l’esprit que la vue de la guillotine. Dans le cas de Joe Biden, des élections de mi-mandat sont prévues l’an prochain. C’est vrai pour tous les gouvernements du monde occidental (et même la Chine et l’Inde) : les prix élevés des carburants sont une mauvaise nouvelle. Cela signifie que les incitations à réduire, au moins temporairement, la production d’énergie carbonée peuvent être suspendues.
Cependant, à long terme, la décarbonisation sera renforcée par cette crise, car le meilleur moyen d’assurer l’indépendance énergétique est de consommer moins d’énergie et de développer les énergies renouvelables. Nous devrons cependant combler un énorme écart à court terme, surtout si ce conflit devient plus violent. Mais à long terme, les arguments en faveur des énergies renouvelables se renforcent.
Nous devrions assister à une tendance déflationniste à long terme, car les énergies renouvelables et les technologies liées à l’efficacité énergétique devraient faire baisser le prix de l’énergie au fil du temps. Je suis prêt à parier que les entreprises, les gouvernements et les particuliers redoubleront d’efforts dans ce sens à moyen et long terme.
En conclusion, nous pensons que la tendance à la décarbonisation ne fera que se renforcer.
Nouveaux consommateursdans la « nouvelle guerre froide ».
C’est un domaine dans lequel je me sens moins à l’aise pour faire des prédictions.
Il me semble toutefois logique que face à des inquiétudes telles qu’une guerre chaude, même nucléaire, et face aux réfugiés ukrainiens qui inondent ce continent, nous soyons peut-être moins concentrés sur les sujets « wokes » et que nous revenions à l’essentiel.
Je ne dis pas qu’un grand nombre des souhaits durables « wokes » sont un luxe ou un caprice, mais simplement qu’une nouvelle austérité pourrait revenir. Cela ne m’étonnerait pas que les gens fassent plus attention à leurs sous en ces temps d’inflation.
Le conflit pourrait toutefois accentuer la tendance à l’alimentation locale et sûre qui avait déjà été amorcée par les problèmes de chaîne d’approvisionnement causés par la Covid. Après tout, l’Ukraine est le grenier de l’Europe. La politique agricole française affirmant que la France doit être autosuffisante en matière d’agriculture semble de moins en moins absurde. Nous avons assisté récemment à un discours de Michel Barnier qui a laissé entendre que l’UE soutiendra des investissements massifs dans l’agrotechnologie, car nous devrons produire plus tout en polluant moins.
Nous suivons en permanence toutes les évolutions du marché du capital-investissement chez Top Tier Access. Nous restons convaincus qu’un portefeuille de capital-investissement bien diversifié reste l’une de vos meilleures options, même, et surtout, en période de grande volatilité.
Merci d’avoir lu cet article.
L’équipe Top Tier Access
*Nous ne disposons pas de cette boule de cristal, mais nous suivons ce conflit de très près (comme vous, je suppose). Nous tentons de faire notre possible pour aider là où le besoin s’en fait le plus sentir.
En attendant, nous devons encore envisager des conséquences à long terme. Il est plus probable que nous retournions vers une guerre froide pour contenir et broyer lentement l’ennemi, conformément à la doctrine Truman.
La bonne nouvelle est que l’Occident s’est versé un dividende de paix pendant environ 30 ans, ce qui a permis d’énormes bonds dans la technologie et la prospérité générale qui sont maintenant aussi utilisés comme armes. Alors qu’à la fin de la guerre froide, l’Occident et l’URSS étaient légèrement à égalité sur le plan économique et technologique, la taille de l’économie occidentale est désormais 20 fois supérieure à celle de la Russie.
Si la Russie et la Chine s’allient, c’est bien sûr une autre histoire, mais c’est un énorme « si ». Ce ne sera certainement pas un mariage d’amour. La Chine aime les prix bas des matières premières et de l’énergie, ils font partie intégrante de son modèle. Toute cette invasion profite à la Chine dans la mesure où elle peut vendre des armes à la Russie, se faire payer en énergie et obtenir un avant-goût de ce que l’Occident peut infliger en dommages économiques et militaires si elle devait envahir Taïwan. Je ne suis ni un observateur du Kremlin ni un observateur de Pékin, mais je ne peux pas imaginer que la Chine soit ravie de l’imposition des prix des matières premières et de l’énergie.
La plupart des observateurs officiels du Kremlin sont convaincus que Poutine pensait que tout ce petit jeu serait terminé en moins de quatre jours, ce qui est loin d’être le cas. Il a clairement la puissance militaire pour gagner la guerre, mais l’occupation qui en découlerait détruirait son armée et ses revendications de puissance.
Le scénario le plus réaliste à l’heure actuelle semble être une scission entre la partie de l’Ukraine qui penche vers l’Ouest, avec environ deux tiers du territoire, et la partie qui penche vers la Russie (Donbass, Crimée, etc.) qui passera sous une forme ou une autre à la Russie. Mais même dans ce scénario, Poutine a franchi son Rubicon et l’Occident va se réarmer et repenser ses politiques énergétiques, agricoles et de défense.
On peut imaginer que si la Russie et l’Ukraine s’entendent à contrecœur, les prix de l’énergie se stabiliseraient assez rapidement. Ce qui monte peut redescendre assez vite.
Vous souvenez-vous du pétrole à presque zéro dollar il y a à peine quelques années Covid ?
Rappelez-vous également que même pendant les jours les plus sombres de la guerre froide, il était possible pour l’Europe de payer l’URSS pour son pétrole et son gaz (comme le montre cet extrait de James Bond).
Nostalgie de la guerre froide quand tu nous tiens.
Contact Presse :
Gunther De Backer
A propos de Top Tier Access
Top Tier Access (TTA) est un véhicule d'investissement belge fondé en 2020 par plusieurs family offices belges à la recherche d'un portefeuille de private equity bien diversifié. Ces derniers ont mis en commun leurs fonds pour créer un véhicule d'investissement capable d'allouer d’importants tickets à des fonds de private equity.
Les fonds de private equity de premier ordre sont habituellement réservés aux investisseurs institutionnels et offrent généralement à l'investisseur à long terme des rendements supérieurs à la moyenne.
Top Tier Access fournit à ses bailleurs de fonds belges un véhicule transparent et peu coûteux et aligne ainsi ses intérêts sur ceux des fonds de private equity sélectionnés.
https://www.toptieraccess.com/